jeudi 15 décembre 2011

Apprenti au Comptoir

Selon les perspectives des années 70, les études d’économie appliquée à la gestion me conduisaient vers les métiers de la comptabilité ou de la vente, métiers que je voulais exclure alors en fonction des images que je m’en faisais (je l’avoue 40 ans plus tard...à tort !). 

L’école de l’Insee m’avait attiré parce qu’elle inscrivait à son programme des cours d’informatique et qu’elle laissait espérer des métiers relativement techniques dans les grandes structures. J’ai passé le concours d’Attaché, j’ai eu un classement favorable, mais j’ai refusé de rentrer comme fonctionnaire. J’ai ainsi conservé le statut d’étudiant et j’ai même augmenté le montant de la bourse qui m’était allouée.

Le cursus de deux ans prévoyait deux stages : l’un en analyse-programmation d’un mois, l’autre en statistique de trois mois. J’ai cumulé les deux puis un peu de temps partiel en même temps que les cours, de juin 1972 en avril 1973. L’entreprise, aujourd’hui disparue, était le Comptoir des Entrepreneurs, établissement bancaire spécialisé dans les prêts immobiliers, filiale du Crédit Foncier de France.

Sur le moment, m’apparurent les avantages de travailler dans les domaines de mes études. De fait, le stage pouvait déboucher sur un vrai job, riche de nouvelles compétences techniques telles que la connaissance de matériel IBM, leader peu contesté et durable, s’il en est un, en gestion des grandes entreprises.

En termes de métier, ce stage n’en était pas moins riche : le domaine des prêts est un des plus intéressants des banques traditionnelles. Il s’agissait de créer un système de statistiques pour certains types de prêts - les PSI et les PIC - prêts à amortissement différé, relativement complexes.

Les premières machines à disque venaient d’apparaître dans les entreprises. L’IBM 370 DOS  du Comptoir des Entrepreneurs, avec une taille mémoire de 512 Kilo octets apparaissait comme « l’un des plus gros de Paris ». Le pilotage de ces monstres (très relatifs, tout se passait en mémoire centrale, la mémoire virtuelle apparaissait tout juste) se faisait à partir d’un pupitre qui permettait d’allouer à l’exécution de chaque tâche une partition donnée. L’optimisation était effectuée par le pupitreur, travail apprécié des jeunes ingénieurs parce qu’il nécessitait de réfléchir et agir aussi vite que possible : quand la mémoire était saturée et qu’on ne pouvait pas « tuer le job», il n’y avait plus qu’à arracher la prise...

Les informaticiens d’aujourd’hui imaginent mal ce qu’était le travail de l’époque : on écrivait à la main sur des feuilles, puis faisait saisir les lignes sous forme de cartes perforées  qui étaient lues par la machine et chargées en mémoire. Ensuite des jeux de cartes permettaient de modifier le programme : insertion, remplacement, effacement…, mais pas d’écran encore, tout était écrit par l’imprimante sur du papier, les fameux listings. 

Nous soumettions nos travaux au monstre. Si la syntaxe du programme lui convenait, il tentait d’exécuter les instructions et de nous fournir le résultat. Puisque je devais sortir des tableaux de comptages dans plusieurs dimensions (nombre de prêts et montants selon le lieu, l’âge, la profession…), j’obtenais le plus souvent l’ébauche d’un tableau jusqu’à l’arrêt du programme, normal (rare) ou sur erreur. La mise au point pour obtenir le tableau espéré était particulièrement longue. Au pire, j’avais un « plantage », le programme ne s’exécutait pas, et il fallait reprendre toute la logique et essayer de trouver les instructions à remanier.

J’ai ainsi découvert le métier d’ homme-système, la banque se refusant à les appeler ingénieur, titre réservé aux diplômés d’écoles…et aux salariés des multinationales, d’IBM en particulier. Quand ils intervenaient sur mes erreurs de programmation, leur compétence m’impressionnait et, un temps, je me suis demandé si je n’allais pas approfondir ma connaissance du sujet pour en faire mon métier.

Je me suis pas mal culpabilisé à cause de l’utilisation pas vraiment satisfaisante que je faisais du logiciel de statistiques que je testais conjointement avec des programmes que j’écrivais en COBOL . IBM aurait voulu nous le louer, bien sûr, mais Il plantait tout le temps. Il faudra des années avant qu’existent des logiciels fiables pour stocker puis restituer des données  sous forme de tableaux à entrées multiples.

Malgré cela, j’avais des satisfactions puisque ma rémunération mensuelle de stage était passée de 600 à 1600 Francs. Dommage que cela ne compte pas pour la retraite… la rémunération prélevée sur des budgets de formation ne donnait pas lieu à cotisation !