lundi 23 janvier 2012

Un Zoreil, Boul’vard la Providence… ça même !

Christian, que je voyais tous les jours rue casimir Périer, avait été volontaire de l’aide technique en Guadeloupe. Il en gardait un excellent souvenir et continuait à coordonner l’ensemble des échanges du siège avec les départements d’outre-mer, Antilles, Réunion, Guyane. Je lui exposai mon projet et d’emblée il m’orienta vers un poste d’adjoint au statisticien agricole à la Réunion. Je me rends compte après coup comme cela a été facile : quelques entretiens, des visites médicales et des vaccins ; j’étais bon pour un service national actif et civil.

La Direction Départementale de l’Agriculture de La Réunion avait ses locaux avec l’Office National des Forêts dans un parc, Boulevard de la Providence un peu en hauteur de Saint-Denis au pied des premières pentes raides vers la Roche Ecrite. Le vat statisticien avait droit a un logement au sein du parc et à une Renault 4L, 3 vitesses, exténuée, mais régulièrement entretenue comme les bulldozers et autres engins agricoles par le garage de la DDA.

Robert était en poste de statisticien agricole depuis plusieurs années déjà : il allait partir pour 3 mois de congés en Métropole courant 1974. Robert n’était pas Zoreil : né à Saint Pierre dans une vielle famille réunionaise, il était entré comme attaché à l’Insee à Paris. Bien sûr, il connaissait l’Ile dans tous ses recoins et s’apprétait même à publier un petit guide à l’usage des Réunionais et aussi des Zoreils kom moin.

Le service statistique c’était une dizaine de personnes : Robert, son assistante Guylène, un adjoint administratif, Laurent, un réseau de six enquêteurs et le vat. Les enquêteurs avaient la caractéristique d’être employés à temps plein (ce qui n’était pas le cas en métropole) ; tous les mois, nous établissions les fiches de paye à partir des questionnaires rentrés. Nous étions à nous tous représentatifs des communautés vivant à la réunion : Cafres, Chinois, Créoles, Malbars, Zarabes. Le Créole, en tant que langue, était utile pour certaines enquêtes. Souvent Guylène et Laurent parlaient créole…moi aussi, j’ai essayé, mais personne ne me comprenait.

Le vat était là pour mettre de l’huile dans les rouages sous l’œil du statisticien : réaliser les enquêtes les plus difficiles, relever les refus (de réponse aux enquêtes obligatoires), faire les calculs à la machine à rouleau, établir les plans de sondage, animer le réseau d’enquêteurs, contrôler les questionnaires, dépouiller les enquêtes, rédiger les études...  

Comme dans chaque département, le service statistique avait une double hiérarchie : à Saint-Denis, le statisticien avait pour « patron » le directeur de l’agriculture ; la coordination des enquêtes nationales était, elle, de la responsabilité du statisticien régional, basé en Martinique pour l’ensemble des départements d’outre-mer. Robert pouvait donc avoir une très grande liberté de pensée et d’action.

Il y avait des vats dans beaucoup d’administrations de l’Ile : les relations s’établissaient surtout en fonction de l’état matrimonial. Les vats mariés kom moin, organisaient leurs loisirs avec d’autres couples de vats et d’ingénieurs, souvent dans le cadre des relations de travail. Hiérarchie aidant, c’était un peu, tout en restant fort civile, une vie de… garnison !

mercredi 4 janvier 2012

Rive Gauche Rive Droite par Solférino

Le Directeur du service statistique de l’Agriculture était venu nous voir à l’école : il recherchait de jeunes statisticiens pour les services nationaux et régionaux. Le service central était alors 5 rue Casimir Périer dans le VIIème arrondissement de Paris, tout près de Sainte-Clotilde, l’annexe informatique, à côté de l’Opéra. C’était le seul service statistique de ministère (ssm) implanté sur l’ensemble du territoire aux niveaux départements avec des effectifs conséquents et des réseaux d’enquêteurs.

En 1973, nous étions encore tous concernés par le service militaire obligatoire. Il y avait plusieurs façons d’y échapper : les études, mais ce n’était qu’un sursis, la réforme (dont les fameux P4), mais c’était en quelque sorte avouer quelque maladie honteuse, et l’objection de conscience, pour ceux qui étaient vraiment courageux. J’avais entendu parler de l’Aide Technique (loi de 1971) qui permettait de partir outre-mer dans des départements ou territoires français et des pays ayant des accords avec la France. C’était une façon de faire le service tout en n’étant pas militaire et d’exercer lorsqu’on avait une spécialité civile.

Il était encore très aisé de trouver un premier travail, surtout dans le métiers de l’informatique et à Paris. En province, les opportunités étaient plus rares et il valait mieux avoir un peu d’expérience. Je décidais donc de travailler sur Paris, de partir le temps du Service National puis de revenir en métropole, si possible en région.

Le Directeur du service voulait mettre en place des indicateurs de gestion : j’acceptais donc cette mission. On me confia également les prémices de l’automatisation de l’Annuaire de Statistique Agricole. Et, comme je posais les jalons pour partir à la Réunion, j’ai pu également travailler sur les résultats du recensement de l’agriculture, RGA 1970.

Comme beaucoup de services identiques de ministères, le Service Central des Enquêtes et Etudes Statistiques naviguait en grande partie à vue. Les budgets étaient alloués par poste budgétaire et on avait une indication de ce qui restait à consommer avec un différé d’environ deux mois, au fil de l’année. Le directeur souhaitait disposer de quelques indicateurs de gestion (des dépenses mais aussi de la régie de recettes) et m’en confia l’analyse et la sélection. Je lui ai remis un rapport avec des proposition précises au moment où des consignes de l’instance hiérarchique supérieure du Ministère Chirac sont arrivées, rendant ainsi caduc le travail effectué…

L’Annuaire de Statistique Agricole était en soi une institution complexe : décliné par départements et régions, il était censé faire un inventaire exact, complet et permanent des superficies et des cheptels, soit environ 400 pages, composées de titres plus ou moins imbriqués (têtière) et de données en ligne (par niveau géographique) . Certains chiffres venaient d’enquêtes objectives, voire de fichiers bien tenus à jour (cheptels bovins, par exemple) ; mais d’autres étaient simplement laissés à l’estimation du statisticien départemental : ainsi dans certains départements il y avait autant de dindons que de dindes, alors que dans d’autres, c’était 1 mâle pour 10 femelles…

Mais cela ne devait être en aucun cas mon problème : on me chargeait d’une mission plus technique consistant à considérer la têtière d’un côté et le corps du tableau de l’autre ; la têtière serait dorénavant éditée en typographie classique et le reste en photocomposition à partir d’une bande magnétique de données fournie à l’Imprimerie Nationale par une société de traitement informatique. Le facteur novateur était le spot lumineux dont le déplacement était tracé sur un papier sensible, remplaçant ainsi la composition au plomb.  Je me suis donc lancé dans une typologie des têtières en en reprenant les modèles avec une machine à écrire Olivetti à petits caractères pour que tout tienne sur une page.

Le recensement de l’Agriculture à la Réunion était beaucoup plus problématique : une gestion à contre temps des budgets n’avait pas permis de bien manager les équipes d’enquêteurs et en fin de compte, le Ministère disposait des questionnaires d’une enquête au dizième. Les définitions des entreprises agricoles et les productions de l’île sont bien sûr différentes de celles de la Métropole : il était impossible de dépouiller l’enquête avec les logiciels écrits. Par contre la transposition informatique des questionnaires suivant le dépouillement du RGA des Antilles permettait de tirer parti de l’investissement spécifiquement fait au Service Informatique rue de Picpus. En conséquence, cela me donnait une première connaissance des productions agricoles de l’Ile en perspective de mon futur travail.