mercredi 22 février 2012

1975 - 1976 : cyclone sur l’Océan Indien - sécheresse en Nord Picardie

La majeure partie de l’année est tempérée à Saint-Denis, autour de 20° avec quelques précipitations éparses. Pendant l’été austral, de Décembre à Mars, le temps est beaucoup plus chaud et lourd avec de gros orages en fin de journée…tout à fait supportable malgré tout.

Nous étions prévenus des risques de cyclones et nous aurions sans doute été déçus si la météo n’en avait pas annoncé au moins un notable durant notre séjour. Les « anciens »,  se plaisaient à décrire les risques et les précautions à prendre : « alerte générale », « circulation interdite », « crues des ravines et des radiers », « envols des cases créoles », « déferlement de vagues »…

La chaleur montait et début Février 1975, la radio de la Réunion annonça le cyclone Gervaise qui arrivait de Maurice avec des vents très forts. On signalait les premières grosses vagues au Barachois : nous avons terminé de clouer nos volets et sommes allés nous rendre compte sur place. Les lourdes pluies se sont abattues, le vent a tournoyé et soulevé des tôles ; mais « plutôt moins de dégâts qu’en 1962 où les cases et les vêtements s’étaient envolés », nous ont dit des habitants du bidonville de la Providence. Des champs de canne ont cependant été dévastés et, comme toujours en pareil cas, les cours de la petite tomate ont flambé.

La liste des postes vacants en Métropole était publiée régulièrement : à l’approche de la date de libération début 1976, je me suis porté candidat pour un poste de statisticien productions végétales au service régional d’Amiens, couvrant les deux régions Nord et Picardie.

L’avion du retour faisait escale à Marseille ; le contraste était rude pour nous trois, moins 4° sur les pistes contre 24° au départ. Nous étions donc loin de nous imaginer que nous allions devoir faire face à un des étés les plus chauds du siècle en France métropolitaine.

Dès Mai, nous ressentions déjà très fortement la chaleur et en Juillet, il n’y avait plus personne dans les bureaux…sauf ceux qui n’avaient pas le droit de prendre des congés (ce qui était mon cas). Les journaux parlaient déjà de grandes difficultés à nourrir les bêtes, car les sols qui n’avaient reçu que très peu de pluie dès le printemps étaient à nu.

Un matin, début Août au service régional d’Amiens, j’eus à répondre au téléphone : « Ici la Préfecture de Lille…Ah ! Il y a un statisticien au service régional…on va avoir besoin de vous, prenez vos effectifs bovins, on va vous associer un spécialiste des rations, vous aller recevoir un ordre de mission ».

Je me suis rendu à la cité administrative le jour dit : on nous a installé dans un bureau le collègue et moi, on nous a donné une estimation des stocks de foin et de paille : « bon voilà, à vous de calculer le nombre de vaches qu’il faut passer à l’abattoir toutes les semaines à partir de Septembre à cause de la sécheresse, car il n’y a plus de fourrage et les bêtes qu’on abat ont de la terre dans la panse. »

Nous avons donc établi un planning prévisionnel pensant aux pauvres bovins condamnés sur le papier, mais heureusement la pluie a été annoncée, puis s’est mise à tomber franchement vers le 15 Septembre.

jeudi 2 février 2012

Plaines et ravines, routes du littoral et des hauts

Le Parc de la Providence où se trouvaient à la fois le bureau et notre studio était un excellent laboratoire de l’agriculture réunionnaise : la végétation tropicale exubérante faisaient côtoyer les vieux manguiers, les jacquiers ou les arbres à pain avec les bougainvillées, les flamboyants et les ylang-ylang. Les jardiniers se réservaient les cultures profitables et les plants de petits piments zoizeau poussaient au hasard des gazons et allées.

Ces piments étaient l’une des cultures hautement spéculatives avec la petite tomate que nous suivions dans les mercuriales ; nous prenions une route et partions à la rencontre des producteurs auxquels nous posions la même question : « combien les vendez vous et à qui ? ». Des périodes d’abondance et de chutes de prix pouvaient suivre des périodes de pénurie, mais ce n’était quasiment jamais sur toute l’Ile au même moment, car il y a une grande variété de climats en fonction de l’altitude et de la position au vent dominant.

Le temps de travail se partageait entre bureau et terrain : nous organisions des tournées en fonction des enquêtes à réaliser et des refus à relever. En 1975, la route littorale au vent n’avait pas encore été coupée par l’éruption du volcan ; je partais pour le tour de l’Ile de Saint Denis vers Saint Pierre en sens inverse des aiguilles d’une montre…pourquoi ? sans doute parce que la route était meilleure et plus large. Il y avait des variantes : demi-tour par les routes des Hauts ou tour complet par Saint Philippe et Sainte Rose ou encore via la route du Tampon et de la Plaine des Palmistes.

Parfois il fallait retrouver un planteur isolé dans les hauts de l’autre côté de la ravine au bout d’un chemin pierreux. Les refus de réponse était plus dus à la méconnaissance qu'avaient les petits agriculteurs parlant surtout Créole qu’à une volonté de rebellion : quoique ? …A Sainte Marie, dans une grosse exploitation au vent, le dirigeant était réputé refuser systématiquement toute enquête, même obligatoire. Malgré l’avis de mes collègues (…mais c’était aussi une forme de mise à l’épreuve de leur part !), je me suis rendu sur la propriété. J’ai obtenu l’indication de la parcelle de canne où le propriétaire était parti contrôler son équipe ; je l’ai abordé, me suis présenté et j’ai reçu pour toute réponse une menace cinglante : « si vous insistez, vous allez voir la volée que vous allez ramasser !» et ce, en excellent Français…

Une autre fois, cela ne s’arrêta pas au niveau d’une mise en garde ; un enquêteur n’avait pas réussi à rencontrer le responsable d’une autre grosse exploitation de canne, propriété d’un élu de la République. Je me suis rendu sur place en début d’après-midi et suivant les recommandations de mes collègues réunionnais,  je suis resté en évidence à une dizaine de mètres de la varangue de la case principale en disant haut et fort comme le veut l’usage : « Na point personne ? ». …Pas de réponse immédiate, mais trois chiens sont arrivés ensemble, un grand, un moyen et un petit genre basset. Je ne voyais  qu’une solution : rester là et attendre qu’un habitant d’une des petites cases veuille bien interrompre sa sieste…mais rien. J’observais les molosses, prêt à essayer de les contrer s’ils attaquaient…ce qui permit au basset de m’approcher par derrière et de me mordre au mollet. De fait, un gardien a fini par me rejoindre, m’indiquant que le fils du propriétaire avait un travail au Port de la Pointe des Galets et que je pourrai sans doute l’y rencontrer (ce qui fut fait très cordialement). Je regagnais ma 4L pour me rendre compte que mon pantalon de coton était déchiré et que j’avais gardé la trace du croc…

C’étaient les aléas d’un métier étonnamment diversifié, à l’image de l’économie rurale et agro-alimentaire de l’Ile : travail de la canne, de la vanille et des plantes à parfum, production de fruits, de légumes et de fleurs, petits élevages, coopératives, machinisme spécifique. Il y avait également, surtout pendant l’absence du statisticien, le travail administratif qu’on appelera « management » à partir des années 1990 : affectation des travaux, animation des équipes, gestion des ressources humaines...