jeudi 19 avril 2012

Le système d’information d’une banque de détail dans les années 1980

On parlait peu de système d’information avant les années 1980. Un article de la revue Banque avait présenté dès 1978 le Système d’Information Marketing d’un organisme financier parisien ; les clients et leurs comptes étaient gérés sur disque, sur un disque de papier tout du moins, car je ne m’en rendis compte que plus tard, j’avais été bluffé, c’était sans doute la description d’un projet à réaliser et non d’un système en production !

Au Crédit Mutuel d’Angoulême, l’ordinateur gérait des fichiers de produits bancaires, livrets, compte de chèques…, avec la signalétique du client. Les traitements étaient lancés par lots sur des fichiers séquentiels, sans qu’on puisse faire le lien direct avec les clients et les autres produits qu’ils possédaient. Aucun lien non plus entre les clients eux-même…nous étions encore très loin d’une gestion par agent économique, qui aurait permis, par exemple de voir les comptes de M. et Mme Jean DUPONT comptes joints pour les chèques du ménage, associés au même M. Jean DUPONT Artisan pour un compte courant et un prêt professionnel.

Pour le système de production, il aurait fallu s’appuyer sur des fichiers indexés ou mieux, une base de données. Mais les systèmes hiérarchiques, comme DL1 d’IBM commençaient tout juste à être mis en exploitation et les bases en réseaux comme IDS2 de BULL étaient encore en phase de conception. Elles étaient difficiles à manipuler et les performances s’écroulaient dès que les volumes devenaient conséquents.

Le système de pilotage de la Fédération était de grande qualité mais strictement manuel à partir des bases comptables : les contrôleurs de gestion éditaient mensuellement leurs tableaux de bord après avoir repris les soldes comptables et les dénombrements de comptes par caisse. On aurait pu dire que les caisses étaient gérées en centres de profit si ce dernier terme n’était pas banni du vocabulaire mutualiste où les bons gestionnaires ont le droit de dégager des « excédents ». C’était une excellente base pour le marketing, il nous restait la tâche de l’enrichir par des indicateurs non comptables, tels que le nombre et la répartition des clients.

La Fédération possédait un service d’organisation et méthodes intégré à l’informatique et composé de 3 organisateurs : ils intervenaient pour tout aménagement dans le travail, guichet, back-office de caisse, services de la Fédération, circuits d’information. René qui dirigeait le service avait totalement pris la mesure des changements que l’informatique et les communications apporteraient. Il avait pris sur lui la constitution d’un groupe de travail d’utilisateurs désireux de faire progresser le traitement de l’information. J’en faisais bien sûr partie et ne manquais aucune réunion.

Le groupe avait décidé de faire un inventaire des axes de progrès et de le présenter au comité de direction pour faire établir une hiérarchie. Les contrôleurs de gestion demandaient des moyens de traitement pour leurs tableaux de bord. Pour le marketing, j’avais mis en évidence les éléments qui nous manquaient le plus, en particulier tout ce qui concernait la connaissance au sens large des clients, leur nombre, les produits qu’ils détenaient afin de favoriser les ventes croisées, les lieux de résidence, les emplois, les loisirs…

La démarche du groupe eut pour moi deux conséquences directes d’importance : le Directeur Général mit en priorité « numéro 1 » le dénombrement des clients et Philippe, l’informaticien patron de René, signa un contrat de services de façon à ce que le Contrôle de Gestion et le Marketing puissent disposer d’outils informatiques d’aide à la décision. L’analyse très succincte du système sur NCR montrait de grandes faiblesses au niveau des fichiers, des programmes et des données gérées. Il n’était pas possible d’envisager d’avoir des statistiques fiables sur les clients sans une refonte complète du système d’information de production.

lundi 16 avril 2012

Le développement du Crédit Mutuel sur le Sud Ouest en 1976

Dans les années 1970-1980, les besoins des ménages en services bancaires devenaient de plus en plus importants. Les Banques dites « inscrites » par la Banque de France, comme la BNP ou le Crédit Lyonnais, démarchaient surtout les entreprises. Le Crédit Agricole montrait un réel dynamisme pour tout type de clientèle et battait la campagne, tout en s’intéressant aussi aux villes. Les Caisses de l’Ecureuil et de La Poste se cantonnaient à recevoir l’épargne des déposants sur les livrets à leurs guichets.

Le Crédit Mutuel de Bretagne avait recommandé d’embaucher un Responsable d’Etudes au sein du marketing de la Fédération d’Angoulême. Son rôle devait être d’évaluer les potentiels de développement, d’accompagner les nouvelles implantations et de cerner les attentes en crédits, produits d’épargne ou moyens de paiement.

J’avais répondu à une annonce d’analyste-programmeur. A la suite d’un entretien avec le Responsable du Marketing et le Secrétaire Général, la Fédération m’a proposé le poste qui cadrait complètement à ce que je pouvais faire. Il était surtout vu, dans une première approche, comme permettant de justifier les budgets de publicité ! Outre le Responsable venant du CMB, la petite équipe était composée d’un rédacteur, ancien journaliste sportif stagiaire à la Charente Libre, d’un animateur commercial et de conseillers affectés aux territoires des grosses Caisses Locales : de l’analyse et de l’action !

Les pouvoirs publics et les collectivités locales étaient favorables au développement du Crédit Mutuel. Le Crédit Agricole, manifestement en position dominante, réussit à obtenir la possibilité de financer l’immobilier en milieu urbain (années 1967, épargne logement - 1977, prêts conventionnés). Certains redoutaient un quasi monopole : on avait autorisé le Crédit Mutuel à rémunérer l’épargne sur livret - le Livret Bleu - aux taux des Caisses d’Epargne avec cumul possible, livret d’épargne, livret bleu ; en échange, le réseau devait consacrer plus de la moitié des dépôts aux financements d’intérêt général tels que médiathèques, piscines, résidences pour personnes agées, ouvrages d’art…

Le développement sur la Communauté Urbaine de Bordeaux était donc assuré sans beaucoup de dépenses d’énergie de notre part avec cet avantage concurrentiel. La Fédération ouvrait une nouvelle caisse, par exemple à Bordeaux Chartrons, et il y avait une file d’attente sur le trottoir pour souscrire un livret au plafond ! Les résultats étaient confirmés par les indicateurs de la Banque de France qui centralisait, par comptoir, les dépôts et les crédits des agents économiques, particuliers ou entreprises. Une exploitation fine des déclarations permettait d’avoir la progression des parts de marché du Crédit Mutuel à Cognac, Périgueux ou Bordeaux...

Nous disposions également de résultats d’études qualitatives - tables rondes, entretiens semi-directifs  et d’études quantitatives - enquêtes suivant la méthode des quotas ou la méthode des itinéraires. A mon arrivée, on m’a proposé d’utiliser la force de vente : les commerciaux constituaient l’équipe d’enquêteurs et je leur faisais remplir des questionnaires. Par la suite, il est apparu plus judicieux de participer à des enquêtes omnibus : j’intervenais en spécification de la demande du Crédit Mutuel au niveau national et régional, en test (entretiens, questionnaires…) et en contrôle sur le terrain, puis en analyse des résultats.

L’intérêt majeur consistait en l’application directe des observations d’étude, le réseau constituant la courroie de transmission. Ainsi nous pensions avoir une image de collecteur d’épargne due à l’avantage du Livret Bleu. Une analyse complète de notoriété sur la Communauté Urbaine de Bordeaux nous a retourné la perception, par les jeunes, d’une image d’organisme prêteur due à l’association du terme « crédit » aux besoins liés à l’équipement des ménages arrivant en ville. Nous avons pu adapter les messages de la publicité, illustrer les rédactionnels dans la presse et journaux de sociétaires et orienter la force de vente au guichet et sur le terrain.

Malgré son succès, la Fédération faisait le double complexe des banques mutualistes par rapport aux banques inscrites et du cadet par rapport au grand frère vert, déjà géant. Les Responsables pensaient devoir embaucher des quinquagénaires de la Société Générale ou de la BNP auxquels les hiérarchies imposaient trop de mutations plutôt que de promouvoir les jeunes. L’un d’eux fut nommé Directeur de l’Exploitation et voulut diriger les conseillers commerciaux. Mon « patron », d’un naturel résigné, rentra tout penaud du comité de Direction où on lui avait expliqué les mérites d’un pilotage marketing du budget de communication.

mardi 10 avril 2012

La banque qui appartient à ses clients

Le Crédit Mutuel a enfin repris en 2012 le slogan qui pouvait le caractériser dès ses origines : « la banque qui appartient à ses clients-sociétaires ». En 1975, le réseau était le septième en France par le total des dépôts, il est le troisième à ce jour grâce à un développement rapide et aussi l’absorption de confrères tels que le CIC.

En 1976, le territoire national n’était pas entièrement couvert par les agences de Crédit Mutuel, contrairement au grand frère Crédit Agricole. Mais, il est vrai, les origines étaient les mêmes : des caisses de dépôts et prêts pour une population rurale qui se sont ralliées à la loi Méline dans un cas, ou se sont mises en opposition aux gouvernements centralisateurs dans l’autre.

Les Crédits Mutuels étaient donc plutôt en position de force dans les régions en réaction par rapport à la République : Alsace, Bretagne, autres régions de l’Ouest et du Nord…  et quasi inexistants au sud d’une ligne Bordeaux Lyon.

En Charente, l’histoire du Crédit Mutuel était associée à celle de la Fonderie de la Marine de Ruelle, fabricant de canons puis plus généralement d’armements. Des ouvriers d’Etat désireux d’emprunter pour construire leur maison étaient confrontés au paradoxe suivant : les banques traditionnelles acceptaient leurs salaires en dépôt mais ne parvenaient pas à leur accorder de crédits malgré leur statut relativement protégé. Ils ont donc créé une caisse auto-gérée à Ruelle et l’ont affiliée au Crédit Mutuel.

Dès les années 1970, les mutualistes de Ruelle ont obtenu d’élargir leur territoire au Département de la Charente (300 000 habitants) et de créer une Fédération à Angoulême. La Fédération de Landerneau, devenue le Crédit Mutuel de Bretagne puis Arkéa au Relecq Kerhuon, les épaulait et ils obtinrent de la Confédération Nationale le droit de développer le mouvement vers le Sud, sur les départements de la Gironde et de la Dordogne.

L’extension du Crédit Mutuel du Sud Ouest était un phénomène plutôt urbain et, outre les jolies villes de Dordogne, Périgueux, Bergerac, Sarlat…, le potentiel de développement, c’était la Communauté Urbaine de Bordeaux et le Bassin d’Arcachon, soit environ un million d’habitants.

Au Crédit Mutuel, chaque caisse locale est en tant que telle une entité juridique avec un Président, un Conseil d’Administration et des élections suivant le principe « un homme , une voix ». Les sociétaires possèdent une part sociale et sont responsables jusqu’à un certain plafond en cas de liquidation. La Fédération du Sud Ouest nommait un « Gérant » de Caisse qui, sous le regard du Président, dirigeait une dizaine ou une vingtaine de collaborateurs. Les comptes étaient tenus au niveau de la Fédération et les flux financiers entre caisses consolidés au niveau d’une Caisse Fédérale. La Fédération supervisait avec une équipe de Contrôle de Gestion qui arrêtait les positions mensuelles en encours et quelques indicateurs de gestion par caisse.

L’informatique de la fédération était une grosse machine comptable « débit - crédit » commune aux caisses, dirigée par Philippe, un ingénieur en mécanique. Il avait choisi le constructeur NCR, spécialiste des distributeurs de billets de banque mais marginal dans les ordinateurs. Les Fédérations étaient soucieuses d’indépendance, les querelles de territoire étaient légions et on se méfiait généralement beaucoup de ses voisins immédiats. Un ordinateur IBM aurait sans doute permis plus d’échanges de logiciels orientés clients entre Fédérations, tels que nous le demandions.

J’eus un jour de 1978, une discussion franche avec Philippe sur le sujet : « Regardez la Banque Fédérative à Strasbourg ? » me dit-il. « Voudriez-vous que je tombe sous la coupe de Michel Lucas qui est prêt à avaler tous les autres services informatiques des fédérations ? », « …avoir un constructeur comme NCR rend plus difficile toute tentative d’absorption. » Il confirmera d’ailleurs sa position quelques années plus tard (1984), à l’époque des mini-ordinateurs ; le CMSO passera un contrat avec… DATA GENERAL ! 

Il avait raison sur le fond, même si les évènements qui ont suivi n’ont pas exactement été ceux escomptés : à la suite d’engagements malencontreux auprès de la Mairie d’Angoulême dirigée par un escroc, la Fédération du Sud-Ouest a été absorbée par le CMB dans les années 1990. C’est donc le système IBM de Brest qui s’est imposé et non celui de Strasbourg. Michel Lucas a pris seul le pouvoir au Wacken dans les années 2000 et aujourd’hui son empire mutualiste va de la plaine d’Alsace à l’Atlantique, Nantes n’ayant pas voulu d’une alliance du grand ouest. Il ne reste que deux systèmes d’information dans le réseau Crédit Mutuel et quasiment toutes les autres Fédérations de l’Ouest, Laval, Angers, La Roche viennent de se rallier à Strasbourg… Derrière les caisses mutualistes, il y a des hommes, pas des bisounours.