jeudi 2 février 2012

Plaines et ravines, routes du littoral et des hauts

Le Parc de la Providence où se trouvaient à la fois le bureau et notre studio était un excellent laboratoire de l’agriculture réunionnaise : la végétation tropicale exubérante faisaient côtoyer les vieux manguiers, les jacquiers ou les arbres à pain avec les bougainvillées, les flamboyants et les ylang-ylang. Les jardiniers se réservaient les cultures profitables et les plants de petits piments zoizeau poussaient au hasard des gazons et allées.

Ces piments étaient l’une des cultures hautement spéculatives avec la petite tomate que nous suivions dans les mercuriales ; nous prenions une route et partions à la rencontre des producteurs auxquels nous posions la même question : « combien les vendez vous et à qui ? ». Des périodes d’abondance et de chutes de prix pouvaient suivre des périodes de pénurie, mais ce n’était quasiment jamais sur toute l’Ile au même moment, car il y a une grande variété de climats en fonction de l’altitude et de la position au vent dominant.

Le temps de travail se partageait entre bureau et terrain : nous organisions des tournées en fonction des enquêtes à réaliser et des refus à relever. En 1975, la route littorale au vent n’avait pas encore été coupée par l’éruption du volcan ; je partais pour le tour de l’Ile de Saint Denis vers Saint Pierre en sens inverse des aiguilles d’une montre…pourquoi ? sans doute parce que la route était meilleure et plus large. Il y avait des variantes : demi-tour par les routes des Hauts ou tour complet par Saint Philippe et Sainte Rose ou encore via la route du Tampon et de la Plaine des Palmistes.

Parfois il fallait retrouver un planteur isolé dans les hauts de l’autre côté de la ravine au bout d’un chemin pierreux. Les refus de réponse était plus dus à la méconnaissance qu'avaient les petits agriculteurs parlant surtout Créole qu’à une volonté de rebellion : quoique ? …A Sainte Marie, dans une grosse exploitation au vent, le dirigeant était réputé refuser systématiquement toute enquête, même obligatoire. Malgré l’avis de mes collègues (…mais c’était aussi une forme de mise à l’épreuve de leur part !), je me suis rendu sur la propriété. J’ai obtenu l’indication de la parcelle de canne où le propriétaire était parti contrôler son équipe ; je l’ai abordé, me suis présenté et j’ai reçu pour toute réponse une menace cinglante : « si vous insistez, vous allez voir la volée que vous allez ramasser !» et ce, en excellent Français…

Une autre fois, cela ne s’arrêta pas au niveau d’une mise en garde ; un enquêteur n’avait pas réussi à rencontrer le responsable d’une autre grosse exploitation de canne, propriété d’un élu de la République. Je me suis rendu sur place en début d’après-midi et suivant les recommandations de mes collègues réunionnais,  je suis resté en évidence à une dizaine de mètres de la varangue de la case principale en disant haut et fort comme le veut l’usage : « Na point personne ? ». …Pas de réponse immédiate, mais trois chiens sont arrivés ensemble, un grand, un moyen et un petit genre basset. Je ne voyais  qu’une solution : rester là et attendre qu’un habitant d’une des petites cases veuille bien interrompre sa sieste…mais rien. J’observais les molosses, prêt à essayer de les contrer s’ils attaquaient…ce qui permit au basset de m’approcher par derrière et de me mordre au mollet. De fait, un gardien a fini par me rejoindre, m’indiquant que le fils du propriétaire avait un travail au Port de la Pointe des Galets et que je pourrai sans doute l’y rencontrer (ce qui fut fait très cordialement). Je regagnais ma 4L pour me rendre compte que mon pantalon de coton était déchiré et que j’avais gardé la trace du croc…

C’étaient les aléas d’un métier étonnamment diversifié, à l’image de l’économie rurale et agro-alimentaire de l’Ile : travail de la canne, de la vanille et des plantes à parfum, production de fruits, de légumes et de fleurs, petits élevages, coopératives, machinisme spécifique. Il y avait également, surtout pendant l’absence du statisticien, le travail administratif qu’on appelera « management » à partir des années 1990 : affectation des travaux, animation des équipes, gestion des ressources humaines...

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